top of page

Dexter, la "bête humaine"



Pourquoi le générique de la série Dexter est-il si dérangeant ? Parce qu’il autorise une double lecture. Par-delà la mise en scène d’une routine matinale, les images suggèrent la violence latente et l’identité duelle du personnage. De fait, Dexter Morgan a cela de singulier qu’il est analyste biologique le jour et tueur en série la nuit. En proie à des pulsions, il fait subir à ses victimes une torture qui n’a rien à envier à celle que pratiquait Patrick Bateman dans American Psycho.


Le générique annonce la couleur : rouge sang. Dès les premières images, le visage flouté dans la glace puis masqué par le T-shirt se présente comme celui d’un être à l’identité trouble. Le miroir joue ici son rôle symbolique de révélateur.

Pourtant, son petit déjeuner consiste en une série d’actions apparemment banales : couper la viande, casser un œuf, moudre le café, couper une orange sanguine. C'est la multiplication des gros plans qui métamorphose le réel en lui donnant une importance singulière. Le geste anodin laisse alors entrevoir d’autres images : la viande sortie de son emballage rappelle un corps que l’on dépèce, l’œuf se fend tel un crâne, le café broyé vole en éclats et esquisse un tourbillon vertigineux, l’orange expulse son jus comme une jugulaire tranchée avant d’être broyée à la force du poignet. L’application qu’y met le personnage annonce son caractère méticuleux, sa rigueur et son efficacité.

La phase de préparation prolonge et confirme cette vision angoissante, à mesure que le fil dentaire et les lacets deviennent des instruments de strangulation.


Aussi peut-on associer ce personnage à Jacques Lantier, protagoniste du roman La Bête humaine (1890) de Zola. Ce cheminot est en effet saisi par des pulsions meurtrières qui le poussent à agresser des femmes :

"Puis, c’en étaient d’autres, d’autres encore, un défilé de cauchemar, toutes celles qu’il avait effleurées de son désir brusque de meurtre, les femmes coudoyées dans la rue, les femmes qu’une rencontre faisait ses voisines, une surtout, une nouvelle mariée, assise près de lui au théâtre, qui riait très fort, et qu’il avait dû fuir, au milieu d’un acte, pour ne pas l’éventrer. Puisqu’il ne les connaissait pas, quelle fureur pouvait-il avoir contre elles ?"

Si la violence instinctive de Jacques se distingue de la rigoureuse planification de Dexter, tous deux partagent cette « fêlure » qui les ronge et menace leur vie sociale et sentimentale. Et nous lecteurs et spectateurs, pénétrons – à notre corps défendant et pour notre plus grand plaisir – dans la tête de ces tueurs.



***

Les deux fictions soulignent la place de l’environnement familial dans la construction de l’individu. Enfant, Dexter a assisté au meurtre de sa mère – source d’un traumatisme indépassable qui l’a rendu incapable de ressentir la moindre émotion. Seul le plaisir de tuer réveille sa chair, tout comme Jacques évoque la jouissance éprouvée à l’idée de satisfaire son instinct :

« Car il ne pouvait se mentir, il avait bien pris les ciseaux pour les lui planter dans la chair, dès qu'il l'avait vue, cette chair, cette gorge, chaude et blanche. Et ce n'était point parce qu'elle résistait, non ! c'était pour le plaisir, parce qu'il en avait envie, une envie telle, que, s'il ne s'était pas cramponné aux herbes, il serait retourné là-bas, en galopant, pour l'égorger. »

Zola, produit d’un XIXe siècle positiviste qui croit pouvoir tout expliquer par les sciences, se veut plus radical encore : l’hérédité déterminerait entièrement l’homme et sa place dans la société. Pour l’écrivain qui envisage le roman comme un laboratoire, chaque tome de la saga des "Rougon-Macquart" est l’occasion de vérifier la pertinence de cette théorie de l’hérédité (évidemment, il y aurait fort à dire sur cette posture de romancier-enquêteur et sur les limites d’une littérature qui prétend s’inspirer des sciences expérimentales et atteindre l’objectivité scientifique). Dans cette optique, on ne s’étonnera pas que l’enfance de Jacques soit bien misérable : né d’une mère trop jeune ( dont le père était alcoolique ) et d’un père insouciant et débauché, il est le fruit d’une union vouée à l’échec :

« Sa mère Gervaise, il est vrai, l'avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n'arrivait que le second, elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu'elle était accouchée du premier, Claude ; et aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Étienne, né plus tard, ne semblait souffrir d'une mère si enfant et d'un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais coeur devait coûter à Gervaise tant de larmes ».

Ses frères apparaissent eux aussi comme le produit d’une filiation dégénérée :

« Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal qu'ils n'avouaient pas, l'aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement qu'on le disait à moitié fou de son génie. La famille n'était guère d'aplomb, beaucoup avaient une fêlure héréditaire ».

Chez Zola, la malédiction ne vient plus des dieux mais d’une hérédité subie qui mène inéluctablement les personnages à leur perte :

« Et il en venait à penser qu'il payait pour les autres, les pères, les grands-pères, qui avaient bu, les générations d'ivrognes dont il était le sang gâté, un lent empoisonnement, une sauvagerie qui le ramenait avec les loups mangeurs de femmes, au fond des bois. »

Comme dans les tragédies classiques, le personnage est à la fois coupable et victime. Au cours d’un monologue intérieur, Jacques Lantier s’efforce de cerner la nature de son mal, selon l’idée que la compréhension et la lucidité constituent déjà une forme de résistance. Quand la bête menace, la dignité humaine réside dans la conscience lucide, dans la volonté de ne pas céder, dans la capacité à solliciter la raison. Cette volonté lui permet d’ailleurs de résister à la tentation de tuer sa cousine Flore.


La série contemporaine rend les choses plus délicates puisque les méfaits du personnage relèvent de la punition. C’est sur les conseils de son père adoptif, officier de police, qu’il canalise ses pulsions en s’attaquant à d’anciens assassins. Là encore, le générique joue son rôle annonciateur puisque la première victime de Dexter n’est autre qu’un moustique qui venait allégrement de se nourrir de son sang. Le parasite gorgé de sang devra payer pour ses actes tout comme les crimes restés impunis devront être jugés.


***


Ces fictions qui nous placent au plus près du tueur sont-elles condamnables ? Loin s'en faut ! Vincent Jouve et Jean-Pierre Esquenazi soulignent les vertus d’une fiction qui nous offre, dans un temps limité voire suspendu, l’occasion de vivre d’autres vies, de côtoyer de près l’altérité, de mener une expérience cathartique.


Dans le générique de Dexter, les regards caméra fonctionnent comme autant de provocations envers le spectateur car cet homme est à la fois différent et semblable. Ces regards disent qu’il pourrait être notre voisin, notre collègue ou pire encore, un miroir grossissant de nos travers, une image de l’homme tiraillé entre civilisation et barbarie. Zola ne montrait pas autre chose dans ses romans. L’homme est avant tout un être de chair, de passions, de pulsions : en somme, un animal. S’il se donne du mal et des airs pour le masquer au mieux, sa bestialité ressurgit dans les moments de relâchement : désir sexuel, pulsions et appétit sont autant de facteurs qui réveillent la bête en nous. La chose est troublante et avait de quoi effrayer le bourgeois. Aussi s’est-on empressé de qualifier de « littérature putride » cette prose que l’on a voulu bannir.


Le générique suggère que tout est question de vision, de point de vue, idée que Zola a cristallisée dans la célèbre définition de l’œuvre d’art comme « un coin de la nature, vu à travers un tempérament ». Placée au plus près des gestes du quotidien, la caméra en dévoile la force symbolique, la portée barbare ; sous la plume de l’écrivain naturaliste, le réel est capté, retranscrit, mais aussi soumis à des effets de loupe qui rendent visible ce qui risquait de n'être pas vu ou ce que l'on ne veut pas voir.

La série, comme le roman en son temps, pose avec une acuité singulière la question de la pulsion meurtrière et des circonstances atténuantes. De l’empathie éprouvée envers Jacques à la sympathie concédée à Dexter, le pouvoir de la fiction réside dans sa capacité à mettre à mal nos jugements moraux, à interroger la nature de la justice, à explorer la frontière entre la bête et l’homme.

 THE ARTIFACT MANIFAST: 

 

This is a great space to write long text about your company and your services. You can use this space to go into a little more detail about your company. Talk about your team and what services you provide. Tell your visitors the story of how you came up with the idea for your business and what makes you different from your competitors. Make your company stand out and show your visitors who you are. Tip: Add your own image by double clicking the image and clicking Change Image.

 UPCOMING EVENTS: 

 

10/31/23:  Scandinavian Art Show

 

11/6/23:  Video Art Around The World

 

11/29/23:  Lecture: History of Art

 

12/1/23:  Installations 2023 Indie Film Festival

 FOLLOW THE ARTIFACT: 
  • Facebook B&W
  • Twitter B&W
  • Instagram B&W
 RECENT POSTS: 
 SEARCH BY TAGS: 
Pas encore de mots-clés.
bottom of page